Une Journée à Provins racontée par Michel Dauvergne

Publié le par alexandregeorges

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Provins, le 4 juin 2008

Cette sortie d'une journée nous obligeait à nous lever très tôt et nous avons opté pour nous y rendre en voiture, la veille, et dormir sur place, d'autant plus intéressant que l'hôtel est situé à 2oo mètres de l'office de tourisme où nous avions rendez vous. Mais il n'était pas précisé qu'il s'agissait de 200 mètres à vol d'oiseau, qu'une grande route, imposible à traverser, séparait les deux, et faisait faire, même à pied, un trajet beaucoup plus long.

A l'heure dite, nous retrouvons le groupe,arrivé, les uns dans un grand car pour une dizaine de personnes, les autres en voiture . Les Sollin, qui devaient venir ainsi, manquent à l'appel. La guide, très jeune, se présente , nous explique le programme de la journée et termine par le traditionnel: avez vous des questions? Alors quelqu'un ose poser celle qui tracasse tout le monde: depuis combien de temps êtes vous guide? Elle nous rassure car elle opère depuis deux ans à Provins et était auparavent à Carcassonne. Puis elle dit: on y va, maintenant .....et elle s'arrête , elle sourit et nous explique son hésitation: à cette période de l'année elle reçoit surtout des enfants des écoles primaires et par habitude, elle allait nous dire : maintenant taisez-vous et mettez- vous en rang par deux !

Devant la porte Saint Jean elle nous fait l'historique rapide de la ville qui est composée de deux parties: la ville haute, la plus ancienne, que nous allons visiter , et la ville basse.

La ville haute est construite sur un éperon rocheux, qui lui confère une bonne position stratégique, déjà utilisée par les romains. La légende raconte qu'en 276 le général romain Probus y séjourna et autorisa la culture de la vigne, interdite auparavent. Le nom Provins viendrait alors de « Probi Vinum » la vigne de Probus.A l'époque de Charlemagne, la ville était déjà importante et elle battait sa propre monnaie .C'est de 1019 à 1224, sous les Comtes de Champagne que Provins va connaître sa plus grande prospérité . Les Comtes encouragèrent la création de manufactures (draps, cuir, coutellerie) qui devinrent célèbres dans toute l'Europe .ils instituèrent des escortes de soldats pour les marchands et des foires importantes s'y tenaient (trois par an, qui duraient trois semaines) . La monnaie, battue par les Comtes de Champagne, avait cours dans dans de nombreux pays.Au 12ème siècle de fortes murailles furent élevées pour protéger les richesses immenses de la ville.Dès la fin du 13ème les temps prospères touchèrent à leur fin . Le dernier Comte Robert III établit des taxes qui entrainèrent des émeutes et des saccages . Provins perdit ses privilèges, les ouvriers ,artisans et commerçants désertèrent . Les foires disparurent et l'activité se réduisit à l'agriculture.

Les remparts

Pour l'époque ils étaient exceptionnels: longueur 5000 mètres 10 portes, 50 tours etc... Il ne subsiste que les remparts de la ville haute , deux portes et une dizaine de tours. Fait rarissime dans les villes du moyen âge: la ville haute est restée à l'intérieur, aucune construction proche n'altère le paysage. Un fossé sans eau entoure l'édifice (nous sommes sur un piton rocheux) Construction classique, imposante, avec meurtrières et glacis à la base pour éviter toute escalade . La porte Saint Jean, en restauration et un peu trop blanche est construite en pierres à bossages, censées mieux résister aux projectiles.

La porte de Jouy présente une particularité Outre le pont levis, elle est munie de deux herses, une vers l'extérieur, et l'autre vers l'intérieur ( elles coulissaient contre les voûtes que l'on aperçoit). La conférencière nous en explique le fonctionnement: Il paraît que tout assaillant, quand il aperçoit une brèche, s'y précipite sans trop réfléchir. L'astuce consistait à laisser le pont levis baissé et la première herse levée. L'assaillant anglais se précipitait et s'agglutinait contre la herse interne, qui ,elle ,était fermée . Quand le sas était plein, l'assiégé refermait la herse extérieure et les anglais étaient pris au piège. On avait alors le loisir de leur offrir, en guise de bienvenue, toutes sortes de douceurs, expédiées par un trou situé en haut de l'édifice (l'assommoir) . Les dites gâteries étaient des pavés bien lourds, des braises incendescentes, de la résine ou de la poix en flammes – jamais d'eau bouillante (rare) ni d'huile chaude (chère).

A ce point de l'exposé, Mr Shaw, assalien mais néanmoins sujet de sa Gracieuse Majesté ( enfin écossais précise t-il) se manifeste: un tel manque de « fair play » est « shocking » et il se demande pourquoi, ici, on parle de la « perfide Albion » La conférencière lui répond que les assaillants n'étaient pas toujours des enfants de coeur, comme par exemple lorsqu'ils envoyaient par dessus les murailles ,avec leurs catapultes, des cadavres d'animaux en putréfaction en espérant propager la peste ou autre maladie incurable! Nous vérifions que les herses ont disparu (il ne reste que les rainures) et nous pouvons sans crainte investir la place.

Nous suivons la Rue de Jouy,en direction du centre ville . Nous remarquons nombre de maisons, à colombages, bien restaurées , sans aucune fausse note (par exemple, pas un seul fil électrique visible) avec beaucoup de fleurs et de nombreux rosiers, ce qui nous amène à l'histoire de la « rose de Provins »

La Rose de Provins

Le comte de Champagne Thibaud le Chansonnier, doux rêveur, épris de musique, de poésie et de Blanche de Castille fit néanmoins une croisade .Il rapporta de Damas des rosiers très résistants, à fleurs rouges odorantes rappelant la fleur d'églantine. Ces rosiers s'acclimatèrent bien au climat et au terrain de Provins et on en fit rapidement de grandes plantations .
Les roses de Provins furent connues dans toute l'Europe . On raconte par exemple que Louis XI dépèchait régulièrement des coursiers à Provins pour

acheter des roses pour son usage personnel (il les mettait, parait-il, dans son bain.)

Jusqu'au 17ème siècle, la rose de Provins fut utilisée pour les cérémonies religieuses, mais surtout servait de base à toutes sortesde médicaments . L'infusion de pétales de roses avait la vertu de « lâcher le ventre , et d'être utile aux fièvres tierces, à la jaunisse, à désopiler le foie, à la palpitation du coeur et à la chaude-pisse! »

A la fin du 18ème les roses de Provins furent concurrencées par les roses d'autres régions, produites à vil prix . Au 19ème, les parfumeurs parisiens les délaissèrent au profit de roses de Damas cultivées à Puteaux!

Aujourd'hui, Provins a gardé un certain amour des roses, mais il faut bien chercher, pour trouver, au milieu de toutes ces fleurs magnifiques, la véritable « rose de Damas »

La grange aux dîmes

Près du centre de la ville haute, ce grand bâtiment de pierre nous réserve une surprise . A l'intérieur nous trouvons d'imposantes salles voutées . Construit au 13ème siècle, au début du gothique, il fût d'abord un marché couvert, puis, àprès la disparition des foires de Champagne il servit aux chanoines pour entreposer les impôts en nature versés par les habitants. Aujourd'hui on y trouve une exposition relative aux activités -commerce et artisanat – à l'époque faste de Provins.

Le changeur était un personnage important car marchands et acheteurs venaient de nombreux pays. Tout d'abord il devait vérifier l'authenticité de la monnaie qu'on voulait changer (la fausse monnaie existait déjà) . Pour tester la qualité du métal, il frappait les pièces entre elles et elles devaient donner un son clair . Ensuite, avec son trébuchet, il contrôlait le poids. Si la monnaie était « sonnante et trébuchante » il l'acceptait et donnait l'équivalent en pièces locales . Parfois il donnait simplement un papier signé que l'on peut considérer comme le premier billet ou le premier chèque .

Comme la plupart des marchands, le changeur s'installait à l'extérieur, généralement sur un banc . On l'a très vite surnommé « le banquier »

Pour rester dans le même domaine, il y avait aussi des mauvais payeurs (ils achetaient sans pouvoir payer) ils recevaient alors une punition qui consistait à être fouettés, à cul-nu , (peut-être même en public) , jusqu'au sang. Leur forfaiture leur coûtait alors » la peau des fesses »

Le marchand de drap, ici avec une riche cliente, vendait surtout le « drap de Provins » que l'on voit sur la table . La couleur bleu foncé était obtenue avec de la noix de galle, mélangée à de la craie et du « cuivre » La production locale était importante, car on comptait pas moins de mille métiers à tisser dans la ville . Ce tissu, très cher était signe de richesse et on l'exposait volontiers sur les murs et même aux fenêtres .

Notre conférencière attire notre attention sur le vêtement de la dame : sur ses oreilles, ce ne sont pas les écouteurs de son lecteur MP3, mais des bonnets pour ses nattes , sur sa tête un tambour, à la mode à l'époque . Le plus étrange ne se voit pas: les manches ne sont pas cousues à la robe, mais fixées par des boutons . L'explication est pour le moins inattendue : à l'époque on mangeait avec les doigts, sans couverts ni assiette et l'on devait s'essuyer la bouche sur ses manches. A la fin du repas les manches étaient plutôt sales et c'était du plus mauvais effet, surtout dans le grand monde . Alors les dames de qualité devenaient complètement différentes en un instant, en enfilant « une autre paire de manches »

D'autres commerçants sont aussi représentés : la marchand de fourrure , avec les différences qualités fonction du rang social , du lapin à l'hermine , l'apothicaire , l'écrivain public .....

La cave présente la même architecture que la salle du rez de chaussée, et on y trouve cette fois une représentation des différents métiers présents à l'époque à Provins .

Le potier fabriquait exclusivement des récipients pour conserver les aliments, le plus souvent dans du sel . Assiettes et couverts étaient inconnus . On plongeait la main dans le pot et on déposait sa prise sur une large tranche de pain. Mais quelquefois il n'y avait pas de pain pour tout le monde . On mangeait alors à deux sur la même tranche et l'on devenait ainsi « co-pains »

Le tailleur de pierres, le tisserand, le parcheminier sont également représentés.

La place du Chatel

C'est la place centrale de la ville haute . La plupart des maisons qui l'entourent datent du moyen âge. On y retrouve les étages en encorbellement , courants à l'époque car les impôts étaient calculés sur la surface au sol .Notre conférencière y trouve un autre intérêt : Les logements étaient à l'étage ( commerce ou atelier au rez de chaussée) et , par la fenêtre ,on vidait les eaux sales, les pots de chambre et les ordures directement dans la rue. Mais il pouvait y avoir des passants , la correction exigeait alors que l'on prévienne en criant deux fois

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« gare à l'eau » avant de jeter le tout . L'infortuné passant avait alors tout juste le temps de se mettre à l'abri sous l'encorbellement de la maison . Les caniveaux, au milieu des rues étaient remplis d'immondices et il valait mieux « tenir le haut du pavé ».Les maisons pouvaient être disposées comme celle que l'on voit au centre de la photo (c'est le restaurant qui doit nous accueillir à midi) où bien, si l'on était très riche, avoir « pignon sur rue » .La maison dont on aperçoit une toute petite partie sur la droite appartenait probablement à un très très riche marchand, car elle possède pas moins de 4 pignons (dont deux sur rue!). On remarque les volets, disposés dans un sens inhabituel. En s'abaissant, la partie inférieure formait une table sur laquelle le commerçant présentait sa marchandise, que l'acheteur pouvait « trier sur le volet »

Nous faisons le tour de la place en admirant l'ancien puits, la croix au change avec le banc sur lequel s'opéraient les transactions de monnaies ,la maison des « petits plaids » où se rendait la justice, etc......

Soudain, le petit train touristique qui fait le tour de la ville apparaît, avec deux touristes à bord, trônant au milieu d'un wagon . D'un peu plus près on reconnaît les Sollin, arrivés en retard au rendez vous et qui tuaient le temps avant de nous retrouver au restaurant . Il est justement l'heure et nous entrons au « Vieil Ecu » décrit dans le guide Michelin à peu près en ces termes: le week end, formule originale sous forme de buffet médiéval, la semaine plus classique . Pas de chance, nous sommes mercredi et nous confirmons: c'est très classique et même très ordinaire!

Après le repas, un peu de temps libre pour faire les boutiques de souvenirs , puis direction la tour César.

La tour César

Il est probable que Jules n'a rien à voir dans le choix de ce nom, qui viendrait plutôt de « Kaiser » : le roi . Cette tour imposante a été bâtie dans la deuxième moitié du 12 ème siècle.Elle visait surtout à montrer la puissance de la ville . Elle était construite à cheval sur les remparts et servait de donjon. Carrée à la base elle est surmontée d'une tourelle octogonale . La base a été renforcée par les anglais après le siège de 1432 et porte le nom dédaigneux de « paté anglais »

La visite de l'intérieur est difficile, car il y a des escaliers escarpés et étroits, avec une simple corde en guise de rampe, et finalement nous nous sommes naturellement divisés en trois groupes : les estropiés et les pas très courageux (dont nous faisons partie) sont restés au pied de l'édifice.Les un peu plus courageux, mais pas trop quand même, ont grimpé jusqu'au premier niveau -vous en voyez quelques uns ci-contre. Enfin, les infatiguables qui sont allés jusqu'en haut.

A l'intérieur, trois étages : au rez de chaussée grande salle pour l'intendance, au dessus salle des gardes surmontée par le chemin de ronde .On trouve aussi des cachots pour les prisonniers . En haut , la tourelle abrite deux cloches ( Saint Quiriace et Jeanne-Caroline) récupérées après l'effondrement du clocher de l'église voisine Saint Quiriace (restée inachevée )

Après cette visite, direction la porte de Jouy pour assister à un spectacle de Fauconnerie.

 

Les Aigles des remparts

Ce spectacle a lieu contre les remparts, à l'intérieur de la cité, à proximité de la porte de Jouy, dans un amphithéâtre où nous sommes les seuls ;Il ne s'agit pas seulement de démonstrations de dressage de rapaces, mais on nous conte une véritable histoire ( pas évidente si l'on est pas informé) Après coup, on peut lire dans les documents remis à l'office du tourisme que ce spectacle est l'illustration d'une légende moyennageuse, qui est celle de Davon, fauconnier du 7 ème siècle . Il fut accusé d'avoir volé un faucon blanc , mais lors de son châtiment l'oiseau réapparut , Davon fut innocenté , se convertit et devint le saint patron des fauconniers.

Sans vraiment comprendre l'histoire, nous asistons à de belles démonstrations où se mèlent chevaux et rapaces et cavaliers ( même un dromadaire et un touareg au début, sans doute pour rappeler que les arabes pratiquaient cette chasse avant les « européens », à moins que Davon lui même ne soit musulman au départ)

La plupart des exercices consistaient à faire voler les oiseaux au sommet des remparts,devant nous et à les attirer avec un morceau de viande, qu'ils venaient chercher en trombe dans la main du fauconnier . Il plaçait derrière nous de telle sorte que l'oiseau nous frôlait et parfois touchait les têtes du bout des ailes. Nous avons vu ainsi différentes espèces impossibles à énumérer.

Après le spectacle, visite des volières , puis retour vers le car ou les voitures pour réintégrer nos pénates, après une bonne journée fort intéressante et instructive.

Publié dans assalga

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